La blockchain : un nouvel outil d’automatisation

© Hervé Cuillandre 2017 in Humanisme n°314




Nous vivons la révolution numérique au quotidien. Nous avons pris l'habitude de vivre avec nos Smartphones. Internet est entré dans notre quotidien. Nous avons compris que le Big data allait révolutionner les organisations.


Il nous semble évident que le monde de demain sera plus automatisé, voire massivement robotisé, et que l’emploi tel que nous le connaissons aujourd’hui aura disparu. Les travaux répétitifs seront confiés aux robots. Les machines seront capables de remplacer l’humain pour piloter des voitures, effectuer des livraisons, réaliser une grande partie du travail de bureau, répondre au téléphone, etc.

Cette transformation progressive décharge l’homme de tâches pénibles ou répétitives, mais pose aussi le problème de l’emploi.


En dehors des usines, les bourses européennes par exemple se sont numérisées et automatisées au point de quitter leurs lieux physiques comme le Palais Brogniard, pour des Data-Centers.


Mais la principale inquiétude aujourd’hui réside dans la centralisation et l’usage qui est fait de nos données personnelles par de grands groupes comme Google, Amazon ou Facebook, qui travaillent à mieux automatiser le monde demain.


Les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) sont friands de nos données, qui nourrissent toutes sortes de projets, allant de l’ajustement commercial à la voiture autonome. Si Google est gratuit, c’est que nous sommes le produit, dit l’adage.


Difficile de choisir des systèmes qui ne centralisent pas nos données pour les traiter ensuite, que ce soient des téléphones, des applications, des systèmes d’exploitation d’ordinateurs, ou même des voitures. Notre équipement quotidien nous écoute. Nous n’y pouvons plus rien.



Pourtant il est une technologie émergente qui est construite justement en opposition à ce système de collecte de données par des tiers : la Blockchain.


La Blockchain est née en réaction à la crise financière de 2008. La question était alors : comment éviter que le système bancaire centralisé puisse ainsi s’effondrer et entraîner dans sa chute ses épargnants ? Et si on pouvait se passer des banques et des états, des tiers de confiances, qui rentabilisent nos fonds et nos données en toute opacité ?

Ainsi naissait l’idée d’un partage des données et de la monnaie directement entre les bénéficiaires.


Une monnaie numérique est donc née de ces réflexions : le Bitcoin, qui a été le premier exemple de la technologie Blockchain.

Toute l’originalité du système qui gère cette monnaie, c’est qu’il est détenu par ses usagers uniquement. Si vous souhaitez vous prêter à cette expérience, il vous suffira de charger un logiciel qui se mettra en relation avec d’autres usagers identiques, sans passer par une banque, pour des transactions gratuites. On parle alors d’organisation décentralisée autonome. Un système qui s’apparente au troc.

Cette innovation n’est pas passée inaperçue. Les banques elles-mêmes essayent d’intégrer cette technologie pour éviter qu’elle ne les menace à terme. Car en moins de 10 années d’existence, le Bitcoin est devenu la 8ème monnaie d’échange mondiale, en raison de la gratuité mais aussi de la sécurité des échanges.


Si cette technologie s’appuie sur l’échange de données entre usagers (on parle de peer-to-peer), chacun d’entre eux possède aussi la preuve irréfutable et cryptée de toutes les transactions financières réalisées grâce à cette monnaie. Un fichier que chacun peut posséder collectionne la liste de tous les paiements, et garantit que personne ne pourra modifier l’état des comptes, puisqu’il est impossible de falsifier tous les ordinateurs connectés. Cette preuve partagée est la grande force de cette nouvelle monnaie, puisqu’elle rend inutile ce que l’on nomme les tiers de confiance. Et en tout premier lieu les banques.


Si les monnaies numériques comme le Bitcoin (ou l’Ether pour en citer une plus récente) menacent les banques, d’autres secteurs économiques comme les assurances doivent craindre également cette technologie qui ne s’intéresse pas seulement au transfert d’argent.


Avec la Blockchain, il est possible de certifier de la même manière toutes sortes d’actes, comme les les actes notariés, les dépôts d’idées et de modèles, sans passer par un intermédiaire de confiance coûteux et difficilement accessible.


Ce sont les assurances qui sont actuellement les plus inquiètes du développement de cette technologie, car il est possible d’automatiser l’ensemble des procédures d’ouverture et de fermeture de contrats, au point d’envisager des micro-opérations quasiment gratuites en fonction des prises de risque des assurés tout au long de leur vie.

Le système qui est partagé par tous les utilisateurs peut porter ainsi des opérations automatiques. C’est-à-dire qu’au delà de l’enregistrement d’un contrat, des actions peuvent être automatisées, telles l’ouverture ou la fermeture d’un risque particulier instantanément dès que la situation le requiert. Ces opérations automatiques sont appelées smart-contract, et peuvent être enchaînées en cascade.

Peuvent donc voir le jour des assurances dynamiques mutualisée par tous ses utilisateurs. Une assurance qui ne craint pas de contracter des micro-contrats avec des micro-paiements instantanés, puisque les transactions sont gratuites.


On peut imaginer dans un avenir très proche qu’il soit possible de déclencher un processus d’assurance automatique par le simple fait de louer une voiture sur son smartphone, comme on commande actuellement un VTC chez Uber. La voiture se livre où nous sommes de manière autonome. Le contrat s’active automatiquement. Et toutes les surprises du trajet sont prises en compte. Le tout étant piloté par notre smartphone fétiche, sans que nous ayons le moins du monde à nous en soucier. Il suffira juste de commander son véhicule, puis de le laisser repartir, une fois la course terminée.


L’assureur classique qui attend son client dans le fond de son bureau a beaucoup de soucis à se faire. Le loueur aussi.


Les grands assureurs et opérateurs bancaires travaillent maintenant sur ce sujet, afin de ne pas se laisser dépasser par des start-up ultra-compétitives basées sur la blockchain. Leur seule chance semble bien de d’intégrer cette technologie et de compter sur la fidélité de leurs clients.

Le gain de productivité obtenu par ce type d’automatisation est phénoménal pour de nombreuses activités du tertiaire.


Par exemple, UBS estime que les délais de traitements des paiements internationaux pourraient passer de 3 jours à 15 secondes ! Les traitements automatisés pourraient nécessiter beaucoup moins de salariés que la gestion classique humaine. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour le chômage dans tous ces secteurs.


Les assureurs et les banques vont donc intégrer des technologies Blockchain pour améliorer leur rentabilité et pour contrer la concurrence des solutions libres bientôt disponibles sur le marché, en valorisant leur expérience et leur image.


Si les investissements réalisés par les banques et assurances sur ces technologies sont très importants, et préfigurent un bouleversement inévitable du marché du travail, la seule réalisation tangible actuelle est la monnaie virtuelle. La plus célèbre reste le Bitcoin, qui va bientôt fêter ses 10 années de tumultueuse existence.


De curiosité de Geek, le Bitcoin est devenue la monnaie d’échange privilégiée pour acheter des armes, de la drogue ou des faux papiers sur le Dark-Web, la face cachée d’Internet. Son accès d’ailleurs est extrêmement aisé grâce au navigateur gratuit et anonyme Tor.


Même si le FBI a réussi à faire fermer les principaux sites illicites du Dark-Web, le Bitcoin a été associé à l’image de ces trafics, et se remet difficilement de ce passé sulfureux.


Par ailleurs, le principal site d’acquisition de Bitcoin ayant été piraté, la valeur de cette crypto-monnaie a connu d’inquiétantes variations. Néanmoins, sa valeur est passée de 6 centimes en 2010 à 700 dollars, ce qui en fait un objet de spéculation indéniable.


Même si cette monnaie a réussi à rester en circulation et semble se stabiliser, ses aventures ont créé durablement une image inquiétante, qui facilite grandement l’émergence de systèmes concurrents intégrés aux banques et assurances traditionnelles.


Les Blockchains peuvent donc être publiques lorsqu’elles sont détenues par leurs utilisateurs uniquement, comme celle du Bitcoin. Elles peuvent être privées, lorsqu’elles sont intégrées au fonctionnement du tiers de confiance traditionnel que peut être votre banque ou votre assurance. Et il y a fort à parier que cette dernière stratégie va beaucoup se développer dans les prochaines années en raison des capacités d’investissement des acteurs institutionnels qui souhaiteront capter ces technologies génératrices de gains de productivité.


Se dessine sous nos yeux un monde nouveau plus automatisé, plus rentable pour les entreprises. Un monde qui utilise pour augmenter sa rentabilité un outil qui avait été pensé au contraire pour échapper aux monopoles bancaires.


Les smart-contrats, qui automatisent les actions contractuelles, les smart-properties qui facilitent les transferts de biens ont pour conséquence de pouvoir progressivement se dispenser d’un contrôle humain jugé imparfait et trop coûteux.


Les diverses applications possibles sont de sécuriser les données administratives ou le vote électronique, de faciliter les commerces d’énergie produite par des particuliers, de faciliter le paiement des droits d’auteur, la traçabilité alimentaire par exemple. Autant de secteurs d’activité concernés par l’automatisation inévitable que permet la Blockchain.


L’automatisation des tâches répétitives et donc la réduction des erreurs est une bonne chose. A condition que le traitement humain demeure. Libérer le salarié des tâches sans valeur ajoutée permet de l’affecter à des tâches plus humaines et plus enrichissantes, à la fois pour l’individu et sa société. La complexification des offres de service doit être soutenue par une expertise et une relation au client qui va au-delà de la simplification extrême des serveurs vocaux automatisés, ou des procédures automatisées de réponse aux dysfonctionnements. Il vient un moment où la machine ne peut tout résoudre. Surtout face à l’imprévu.

Et puis, parce que l’être humain est un être sociable, le contact humain est absolument nécessaire, et doit être renforcé, au moment où précisément la société se déshumanise. Ne serait-ce que pour se différencier.


A contre-courant de l’économie de personnel, nous pouvons choisir de nous différencier par un service humain de qualité, et opposer précisément une complémentarité à la machine et défendre l’humanité de notre monde.


Si la blockchain est encore une technologie en opposition avec la centralisation des données actuelle, elle devrait assez rapidement être captée par les grands groupes qui régissent notre vie. Mais les règles de son intégration sont entre nos mains. Plus que jamais, nous devons garder vigilance.


Nous devons veiller à ce que cette société qui se dessine ne sacrifie pas les emplois, la qualité de travail, ou le droit à la déconnexion. Nous devons veiller à ce que le progrès technologique reste au service du progrès social. C’est à nous, êtres humains qu’incombe le devoir de maîtriser le progrès technologique, pour qu’il demeure à notre service.


© Hervé Cuillandre 2017 in Humanisme n°314